Après un accident de voiture, l'actrice Blanche Hudson se retrouve paralysée et dépendante de sa soeur Jane, jalouse de son succès et déséquilibrée...
Robert Aldrich a d'abord commencé sa carrière comme assistant réalisateur, au cours des années 1940, notamment auprès d'auteurs prestigieux comme Jean Renoir (pour L'homme du sud (1945)) et Charlie Chaplin (pour Les feux de la rampe (1952)). Puis il réalise des séries B, dont deux westerns avec Burt Lancaster qui sont devenus des classiques : Vera Cruz (1954) et Bronco Apache (1954). Il devient son propre producteur et signe des films noirs mythiques avec En quatrième vitesse (1955) d'après un livre Mickey Spillane, et Le grand couteau (1955) avec Jack Palance. Sa relecture originale et désabusée des genres hollywoodiens se poursuit avec Attaque (1956), film de guerre mettant en scène un officier lâche parmi les rangs américains de la seconde guerre mondiale. Ces oeuvres lui valent l'admiration des critiques européens : néanmoins, ces derniers boudent un peu ses films suivants. Dans Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?, il rassemble deux stars hollywoodiennes vieillissantes : Bette Davis (L'insoumise (1938) de William Wyler, Eve (1950) de Joseph L. Mankiewicz...) et Joan Crawford (L'inconnu (1927) de Tod Browning, avec Lon Chaney, Le roman de Mildred Pierce (1945) de Michael Curtiz...), dont les carrières respectives étaient alors plutôt sur la pente descendante. Par ailleurs, étaient réputées se détester.
Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? n'est pas seulement une peinture amère de Hollywood : c'est aussi un suspens sombre et la description d'une plongée dans la folie. Il est d'ailleurs intéressant de le rapprocher de Soudain, l'été dernier (1959), film américain très cruel de Joseph L. Mankiewicz dans lequel une riche veuve (Katharine Hepburn) cherche à faire passer pour folle sa nièce (Elizabeth Taylor) afin qu'elle soit lobotomisée et qu'elle ne puisse plus révèler un lourd secret famillial. Ici, Baby Jane, instable, refuse d'accepter le déclin de sa carrière, et régresse à un état infantile, se vêtant et se maquillant comme la fillette-star qu'elle a été longtemps auparavant. Jalouse de sa soeur, elle va la séquestrer et lui faire subir des tortures psychologiques et physiques. De plus, elle éliminera ceux qui se dresseront contre ses plans. C'est Bette Davis, considérablement enlaidie, qui tient ce rôle de manière assez époustouflante. Ce huis-clos entre une femme paralysée et son bourreau dérangé, imprévisible et cruel, inspirera sûrement beaucoup Stephen King et Bob Reiner pour Misery (1990), qui est, par ailleurs, une autre critique amère du star-system. Les décors baroques de la villa, filmés dans un noir et blanc angoissant, évoquent, certes, la demeure de l'ancienne star de Boulevard du crépuscule, mais aussi ceux du thriller gothique Deux mains, la nuit (1946) de Robert Siodmak, voire du film de maison hanté Les innocents (1960) de Jack Clayton. Le comportement violent et sadique de Baby Jane, ainsi que ses pathétiques minauderies de fillette, achèvent de faire pencher Qu'est-il arrivé à baby Jane ? vers le domaine du film d'horreur, rappelant le portrait dément de Norman Bates dans Psychose d'Alfred Hitchcock.
Pourtant, Qu'est-il arrivé à baby Jane ? souffre de défauts rédhibitoires. Le suspens, qui devrait être infaillible pour qu'un tel film fonctionne à plein régime, fait cruellement défaut. Si le spectateur est parfois surpris (les étonnantes recettes de cuisine concoctés par Baby Jane...), il s'ennuie tout de même la plupart du temps. Après un prologue nerveux, le récit met en effet un temps certain à se mettre en place, et les rebondissements, souvent bien prévisibles, se succèdent trop lentement, tandis que la réalisation fait preuve d'un cruel manque d'imagination et de nerfs. La durée, bien trop longue, de plus de deux heures se fait cruellement sentir. Quand à l'exploitation du décor gothique et la photographie en noir et blanc, on peut les trouver en retrait par rapport à des oeuvres de la même époque, aussi efficaces et étonnantes que Psychose, Les innocents ou La maison du diable (1963). Heureusement, le final sur la plage (on pense encore un peu à Soudain l'été dernier), avec son renversement intéressant (mais un peu artificiel et tardif), ainqi que sa mélancolie apaisée et cruelle, parvient à sauver un peu le film. La danse finale de Baby Jane qui, dans sa folie, prend la foule des curieux venus assister à son arrestation pour son public perdu depuis des années, est, là encore, un emprunt très évident à la conclusion de Boulevard du crépuscule.
Qu'est-il arrivé à baby Jane ? est donc un brin décevant, et il se situe tout de même bien en dessous des films les plus intéressants mêlant horreur et folie (Psychose, Les innocents, Repulsion (1965) de Roman Polanski...), notamment à cause d'un suspens peu convaincant et d'une mise en scène banale. Néanmoins, ce film fût bien reçu par la critique américaine et connut un beau succès public. Ce fut le début de nouvelles carrières pour Joan Crawford et Bette Davis. C'est avec cette dernière que Robert Aldrich allait tourner, peu après, Chut, chut, chère Charlotte (1964), un autre thriller horrifique dans la lignée de Qu'est-il arrivé à baby Jane ?